Dans le cadre de l’élaboration de la loi sur l’Economie sociale et solidaire (ESS), le ministre délégué à l’ESS et à la consommation Benoît Hamon avait requis lors de sa communication en Conseil des ministres en septembre dernier l’intervention de différentes institutions. Avaient en outre été consultés le Conseil supérieur de l’ESS (CSESS), le Contrôle Général Economique et Financier (CGEFI) dont le rapport vient d’être publié et le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE).

Le 22 janvier dernier, le CESE a fini par répondre à la requête du Gouvernement en publiant un avis intitulé "ESS : entreprendre autrement" dans lequel il s’emploie à répondre aux différentes problématiques posées par la constitution d’un cadre légal pour l’ESS. En plus de se prononcer sur la définition même du périmètre de l’ESS, le CESE s’est employé à répondre aux deux grandes questions posées par le Premier ministre, à savoir, d’une part, à quelles conditions une modernisation du modèle coopératif et une évolution du droit des salariés pourraient contribuer à faciliter la reprise d’entreprises par leurs salariés et d’autre part, sur quelles institutions et quels acteurs s’appuyer en vue du développement local de l’ESS et par quels moyens mettre en oeuvre cette politique.

1) Sur le périmètre de l’ESS

Pour le CESE, "l’entreprise de l’ESS se définit par les statuts juridiques qu’elle adopte" (mutuelle, association, coopérative, fondations). Loin de cautionner l’établissement d’un "label Entreprise sociale" souhaité par le ministre Benoît Hamon et censé reconnaître la spécificité des projets des entreprises de l’ESS en s’appuyant sur des valeurs dépassant ainsi la seule question des statuts, le Conseil soulève le risque que présente l’institution d’un tel dispositif, notamment l’introduction d’une tutelle administrative dans le secteur de l’ESS menaçant ainsi leur indépendance.
C’est pourquoi, si les associations, mutuelles, fondations et coopératives entrent de droit dans le périmètre de l’économie sociale, toute entreprise commerciale se revendiquant de l’ESS devra avoir intégré dans ses statuts un certain nombre de valeurs posées par la loi (entreprises de personne, gouvernance démocratique, impartageabilité de la propriété collective etc.) dont le contrôle serait délégué par l’Etat aux CRESS [1].

2) Sur la modernisation du modèle corporatif

Pour le Conseil, le modèle coopératif est animé de nombreuses vertus : en plus de participer "à l’ancrage des activités et des emplois sur le territoire", son mode de gouvernance est "tournée vers la pérennité des entreprises" grâce notamment aux principes d’impartageabilité des réserves et à l’implication des salariés dans les prises de décision. C’est pourquoi il apparaît comme une solution viable de reprise des entreprises en difficulté par leurs salariés. Néanmoins souligne le Conseil, ce système présente d’importants risques pour les salariés repreneurs qui se voient contraints de s’impliquer financièrement malgré une période d’instabilité professionnelle. D’où la nécessité de sécuriser la reprise d’une société commerciale par ses employés et sa transformation en SCOP grâce notamment à un dispositif anticipatif actionné par le Tribunal de commerce dès l’apparition des premières difficultés avant que la situation ne devienne "irrécupérable" et que les investisseurs aient perdu toute confiance dans la structure. Dans le cas où les salariés parviendraient à présenter un plan de reprise viable élaboré à l’aide d’organismes agréés, un système de prêt à taux 0 devrait être déclenché au profit des repreneurs. L’organisme prêteur (Banque coopérative, fonds dédié à la reprise-transmission) serait alors remboursé par voie de subrogation par l’ARCE [2] ou par un autre financement spécifique encore à définir.
A quoi le Conseil ajoute qu’un droit de reprise préférentiel devrait être accordé aux salariés et qu’il convient de sensibiliser les acteurs impliqués dans une procédure collective (magistrats, mandataires judiciaires) à ce mécanisme de reprise par les salariés.

Toutefois, le Conseil appelle l’attention du législateur sur une autre réalité : le départ prochain des entrepreneurs issus de la génération du baby boom. Plus de 10% des entreprises ferment faute de repreneur, or selon l’Oseo [3], près de 90 000 entreprises devraient être transmises dans les années à venir, ce qui concerne près de 30 000 emplois. La volonté du conseil ici est d’étendre le régime de reprise sous forme coopérative aux entreprises saines.
Pour cela, doivent être améliorées l’anticipation et l’information des salariés sur tout projet de cession afin de leur donner la possibilité de présenter un projet de reprise mûri et viable. Le CESE évoque ici l’idée d’une obligation d’information privilégiée des salariés pendant un délai "raisonnable" pendant lequel aucune offre de reprise d’un repreneur externe ne pourra intervenir. Reste à savoir si un tel dispositif sera validé par le Conseil Constitutionnel au sens où il porte atteinte au droit du propriétaire de l’entreprise d’administrer librement son bien. Dans le cas d’une reprise d’entreprise en bonne santé financière, le Conseil reprend l’idée du ministre Benoît Hamon de créer un statut transitoire de SCOP d’amorçage, grâce auquel il ne sera pas nécessaire pour les salariés de détenir d’emblée plus de 50% du capital, nombre qui peut paraître difficile à atteindre en présence par exemple d’une Entreprise de Taille Intermédiaire (ETI) [4].
Le CESE soutient finalement la création de groupes coopératifs afin de pouvoir réaliser un effet de taille sur le marché. Pour cela, il convient de dépasser les difficultés statutaires propres à la SCOP en élargissant la notion de salariés associés à l’ensemble du groupe (seront considérés comme associés internes les salariés de toute autre SCOP du groupe dès lors qu’il y a une participation en capital).

3) Sur le développement local de l’ESS : la reconnaissance des acteurs territoriaux

Parce qu’une grande majorité des structures de l’ESS ne sont pas rattachées à des établissements publics consulaires (Chambres de commerce et de l’industrie, Chambre des Métiers), ces dernières ont été amenées à constituer des Chambres Régionales de l’Economie Sociale (et Solidaire pour certaines) généralement sous forme d’association loi 1901. On en recense aujourd’hui 26 réparties sur l’ensemble du territoire métropolitain et dans les DOM-TOM, chapeautées par le Conseil National des Chambres d’Economie sociale et solidaire (CNRESS).
A ces structures sont reconnues trois fonctions principales exercées en réalité par les plus importantes d’entre elles : tout d’abord celle de soutenir le développement économique de la filière ESS, de promouvoir et de sensibiliser le public à l’économie sociale et en dernier lieu, une fonction plus politique de structuration et de représentation du secteur de l’ESS.
Reste que ces entités concentrent une grande hétérogénéité dans leur mode de gouvernance. C’est pourquoi le Conseil propose de pallier le développement inégal des CRESS par une harmonisation d’une part de leur forme juridique (s’agit-il d’une association gérant une mission de service public ? D’un Groupement d’Intérêt Public ?) mais aussi par la création d’un socle commun de missions précisément définies. Le Conseil rejette néanmoins la proposition du Gouvernement d’ériger les CRESS en chambres consulaires.

4) Sur les outils de développement de l’ESS

a) La contractualisation entre pouvoirs publics et acteurs de l’ESS

Dans la logique de reconnaissance des entités structurantes de l’ESS, le Conseil souligne ici le rôle de promotion de l’ESS revenant de fait aux Régions . Puisque l’ESS s’inscrit principalement sur un territoire, il revient aux Régions d’insérer dans leur stratégie de développement économique et d’aménagement du territoire les acteurs du secteur de l’économie sociale souvent plus aux faits des besoins et problématiques au plan local.
Cela peut passer par exemple, par la prise en compte de l’ESS dans les contrats de projets Etat/Régions [5], ou tout autre contrat à vocation économique et de cohésion sociale.
Le Conseil fait ici de l’ESS un outil à utiliser "en complément ou en renforcement" d’actions entreprises par d’autres acteurs publics, d’où la volonté de mettre en place une véritable coopération entre le secteur de l’économie sociale et les institutions publiques (CCI, Conseils généraux et régionaux, Chambres des métiers etc.), ce qui ne peut se faire sans "l’établissement d’un cadre national de reconnaissance et de soutien".

b) Le soutien financier de l’ESS

Le CESE ne s’étend que très peu sur les possibles sources de financement de l’ESS. Il reconnaît l’avancée que constitue l’institution de la Banque Publique d’Investissement (BPI) qui disposera d’un volet "ESS" doté de près de 500 millions d’euros en vue d’en favoriser le développement, en insistant toutefois sur la nécessaire sensibilisation des équipes dirigeantes aux enjeux de l’ESS et sur la représentation du secteur dans les instances d’orientation et les comités d’engagement.
Ce dernier évoque également l’aménagement d’un accès privilégié à la commande publique soutenu par une directive européenne actuellement en discussion et visant à favoriser dans l’octroi de marchés les "opérateurs à fort impact social et environnemental" . Ce projet suscite néanmoins quelques difficultés, notamment en termes de concurrence et de constitutionnalité puisqu’il reviendrait à privilégier les structures de l’ESS.
Quant aux subventions publiques, le Conseil part du constat que, de plus en plus, les collectivités publiques préfèrent recourir à la commande publique, privant ainsi le secteur de l’ESS (notamment le tissu associatif) d’une certaine visibilité sur la pérennité de leurs actions.
C’est pourquoi il sera attendu du législateur qu’il formalise une bonne fois pour toute la notion de subvention et ceci conformément à la législation européenne relative aux aides d’Etat [6], afin d’en sécuriser l’octroi.

Puisque c’est sur cet avis rendu par le CESE que devrait porter toute la substance du texte en cours d’élaboration (comme l’avait annoncé le ministre en septembre 2012), on peut espérer qu’un projet de loi finalisé soit très prochainement présenté en Conseil des ministres.

[1Chambres Régionales de l’ESS

[2Aide à la Reprise ou à la Création d’entreprise, initialement prévue pour les chômeurs bénéficiant de l’Aide aux chômeurs Créateur ou Repreneur d’entreprise (ACCRE)

[3EPIC spécialisé dans le financement des PME innovantes

[4entreprises prévues par l’art 3 du décret du 18 décembre 2008 et situées entre les PME et les Grandes entreprises, employant moins de 5000 salariés, réalisant un chiffre d’affaire annuel n’excédant pas 1 500 millions d’euros ou un bilan inférieur ou égal à 2 000 millions d’euros

[5contrat par lequel l’Etat et une région s’engagent sur la programmation et le financement de projets pluriannuels importants

[6Sont en effet considérées comme contraires au droit communautaire les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d’Etat susceptibles d’affecter les échanges entre Etats membres ou de menacer la concurrence